Dans les rues d’Alger, de Constantine ou d’Oran, un murmure d’inquiétude se fait entendre. Les propriétaires de poids lourds et de bus scrutent avec anxiété l’usure de leurs pneumatiques, tandis que les garagistes jonglent avec des stocks de plus en plus réduits. L’Algérie fait face à une pénurie de pneus qui, au-delà de son aspect conjoncturel, révèle les tensions profondes qui traversent le tissu industriel du pays.

Le gouvernement, alerté par des rapports faisant état d’une « pénurie injustifiée et incompréhensible » de certains types de pneus, notamment pour les véhicules lourds, s’apprête à prendre des mesures d’urgence. Une situation d’autant plus paradoxale que les licences d’importation bancaires ont bien été accordées.

Au cœur de cette crise, un acteur majeur se détache : Iris, l’unique producteur national de pneus. L’entreprise, qui produit actuellement deux millions de pneus par an dans son usine de Sétif, s’apprête à doubler sa capacité pour atteindre les quatre millions d’unités annuelles. Une expansion qui témoigne des ambitions industrielles de l’Algérie, mais qui soulève également des questions sur la capacité du pays à satisfaire sa demande intérieure.

La politique protectionniste mise en place par les autorités, visant à protéger la production locale et à préserver les réserves de devises, se heurte à la réalité du marché. Si l’importation de pneus fabriqués localement a été drastiquement réduite, des licences ont bien été accordées pour l’importation de pneumatiques non produits en Algérie, notamment pour les poids lourds. Pourtant, la pénurie persiste.

Cette situation ubuesque alimente les spéculations. Certains pointent du doigt les importateurs, accusés de retarder l’arrivée des stocks ou de les dissimuler pour faire flamber les prix. D’autres évoquent les lourdeurs administratives qui freineraient le processus d’importation. Le ministère du Commerce, pris entre le marteau des besoins immédiats et l’enclume de la stratégie industrielle nationale, tente de jouer les équilibristes.

Pendant ce temps, Iris poursuit son expansion. L’entreprise, qui exporte déjà 30% de sa production vers une trentaine de pays, symbolise les ambitions d’une Algérie qui cherche à s’affranchir de sa dépendance aux hydrocarbures. Un deuxième projet d’envergure, capable de produire 5 millions de pneus par an, est en cours de réalisation à Oran. De quoi, en théorie, satisfaire largement la demande nationale estimée à 4 millions d’unités annuelles.

Mais cette montée en puissance de l’industrie locale ne se fait pas sans heurts. Les importateurs, habitués à un marché plus ouvert, se plaignent des retards dans l’obtention des licences bancaires. Certains n’hésitent pas à accuser des « spéculateurs » de créer artificiellement la pénurie pour faire pression sur le gouvernement et obtenir une libéralisation des importations.

Face à ces tensions, le ministère du Commerce tente de jouer les médiateurs. Son objectif : trouver un équilibre délicat entre la protection de l’industrie nationale et la satisfaction des besoins du marché. Une équation complexe dans un pays où la balance commerciale, longtemps déficitaire, affiche enfin un excédent de 3,75 milliards de dollars sur les sept premiers mois de 2024.

Cette crise des pneus, au-delà de son aspect anecdotique, cristallise les défis auxquels fait face l’économie algérienne. Comment encourager l’industrie locale sans asphyxier le marché ? Comment lutter contre les pratiques spéculatives tout en garantissant un approvisionnement régulier ?

Alors que le gouvernement promet des mesures rapides pour résoudre la crise, une question demeure : l’Algérie parviendra-t-elle à transformer cette pénurie en opportunité pour consolider son tissu industriel ? La réponse à cette question pourrait bien déterminer l’avenir économique du pays, bien au-delà du seul secteur des pneumatiques.